Trouver des solutions à nos crises alimentaires en s'attaquant à nos points faibles

L'article ci-dessous est basé sur le discours que Francine Picard, cofondatrice du Centre Shamba et directrice des partenariats, a prononcé lors de la session d'ouverture de la conférence GIZ Partners for Change qui s'est tenue à Nairobi, au Kenya, le 26 juin 2024.

Comment décrire les crises alimentaires multidimensionnelles auxquelles nous sommes actuellement confrontés ? Certaines descriptions reconnaissent son impact à grande échelle sur des domaines tels que la santé, l'inégalité, la résilience et la durabilité. Toutefois, une autre description est plus appropriée : celle des angles morts. 

Chaque bouchée de nourriture que nous mangeons est le produit d'une chaîne d'événements interconnectés. Ces événements n'influencent pas seulement nos systèmes écologiques, économiques et sociaux, mais ils sont également influencés par eux. Pourtant, combien de ces interactions restent en dehors de notre champ de vision ? 

La malnutrition et la faim sont le résultat de systèmes alimentaires mal orchestrés. Notre incapacité à percevoir ces angles morts est à l'origine de 11 millions de décès par an. Nous devons aller au-delà de la production en quantité et produire plus judicieusement, distribuer plus équitablement et consommer de manière plus réfléchie. 

L'agroécologie en est un exemple positif. L'adoption de pratiques agricoles durables conçues pour générer des résultats multiples et interconnectés peut simultanément revitaliser la santé des sols, accroître la biodiversité, réduire les émissions de carbone et améliorer la nutrition des communautés locales. Toutefois, l'agroécologie ne doit pas être considérée comme un remède universel, mais plutôt comme un élément d'une palette plus large d'interventions. 

Nos défis alimentaires ne connaissent pas de frontières, et nos solutions non plus. En reconnaissant nos angles morts, nous sommes contraints de collaborer au-delà des frontières et des secteurs, de créer des alliances entre les gouvernements, les entreprises, les ONG et les communautés agricoles et de concevoir des solutions qui répondent aux défis complexes de notre époque. En adoptant une vision qui englobe nos angles morts actuels, nous pouvons déclencher une réponse plus globale aux crises alimentaires. Nos solutions ne devraient pas servir de rustines aux symptômes, mais plutôt à extirper la maladie à la racine.  

Trouver des solutions pour relever nos défis 

Le Centre Shamba propose trois recommandations pour relever les défis alimentaires actuels.  

Tout d'abord, nous devons agir sur la base de données probantes en adoptant une approche holistique et fondée sur des données probantes. Ceres2030 a représenté une révolution dans la manière d'atteindre l'ODD 2. En identifiant dix domaines d'intervention susceptibles de doubler les revenus des petits exploitants et d'éradiquer la faim dans les limites de l'Accord de Paris sur le climat, il a offert une réponse holistique. Ce qui a rendu Ceres2030 unique, c'est son approche visant à multiplier les effets des interventions. En les mettant en œuvre au bon endroit et au bon moment, nous pouvions maximiser leur efficacité. 

Ceres2030 appelle les gouvernements et les donateurs à mobiliser 330 milliards de dollars d'ici 2030. Pour mettre en œuvre cet effort, le successeur de Ceres2030, Hesat2030, développe de nouveaux outils, tels que le suivi de la sécurité alimentaire et de l'aide à la nutrition, afin de rendre cela possible. Il met en œuvre les recommandations de Ceres2030 par le biais d'initiatives telles que la Coalition Faim Zéro, qui travaille avec les pays pour identifier et mettre en œuvre les solutions les plus efficaces et les plus efficientes. Comme Ceres2030, Hesat2030 place la science au cœur de la lutte contre l'insécurité alimentaire et adopte une approche holistique des problèmes complexes. Il élargit le champ d'action en intégrant des régimes alimentaires sains et l'équité.    

Deuxièmement, nous devons donner la priorité à des investissements audacieux et stratégiques à long terme pour rompre le cycle incessant des crises. Il est temps d'aller au-delà des réponses d'urgence et de s'attaquer véritablement aux causes sous-jacentes de l'insécurité alimentaire : conditions de vie précaires, manque de ressources, opportunités économiques limitées et capital humain sous-développé. Il est impératif d'intégrer des stratégies de développement durable à l'aide d'urgence pour obtenir un changement profond et durable. Les chocs continueront, mais pour éviter qu'ils ne se transforment en crises, nous devons renforcer la résilience grâce à des stratégies à long terme. 

Prenons l'exemple des transferts monétaires. Au-delà de la stimulation de la consommation immédiate, ils doivent servir de levier à l'investissement dans des activités productives. Ces fonds, lorsqu'ils sont accompagnés d'un soutien technique ciblé, encouragent les ménages à adopter des pratiques agricoles innovantes, résistantes et durables. En outre, la reconstitution de l'épargne et du crédit villageois ouvre de nouvelles possibilités d'investissement qui non seulement génèrent des revenus, mais renforcent également l'autonomie économique et permettent aux ménages de prospérer. 

Troisièmement, alors que le soutien public à l'agriculture diminue, nous devons rechercher d'autres sources de financement pour combler le déficit d'investissement. Un certain nombre d'approches innovantes sont disponibles, et parmi elles, le financement mixte est la plus prometteuse. Il fusionne les capitaux publics et privés pour maximiser l'impact social tout en mobilisant des investissements à grande échelle. Le capital d'amorçage provenant de subventions peut être utilisé pour mobiliser des fonds privés.  

Notre récente étude avec la Plate-forme mondiale des donateurs pour le développement rural (GDPRD) montre que pour chaque dollar de capital garanti fourni, jusqu'à quatre dollars de financement privé peuvent être mobilisés. Les ressources disponibles pour l'agriculture et les systèmes alimentaires s'en trouveront considérablement accrues. Le problème, cependant, est de s'assurer que le financement a un impact sur le développement durable. Une analyse complète doit prendre en compte l'additionnalité - l'alignement sur les objectifs de développement et d'autres facteurs pour s'assurer que les résultats positifs souhaités pour le développement sont atteints sans distorsion du marché.

Les institutions financières de développement (IFD) sont également des moteurs du développement durable et disposent de ressources importantes. Cependant, elles sont régies par des règles qui les découragent de prendre des risques. C'est pourquoi nous devons leur donner les moyens de disposer de fonds dédiés qu'elles pourront utiliser pour le financement mixte des risques. 

La résolution des crises alimentaires actuelles ne se fera pas du jour au lendemain. Il faudra du temps pour mettre en œuvre les solutions et obtenir des résultats. Cependant, les solutions ne sont pas un luxe mais une nécessité pour forger un avenir où les crises ne sont plus inévitables mais plutôt des défis qui peuvent être surmontés.  

Il est temps d'adopter une approche radicale de nos systèmes alimentaires et des crises qu'ils engendrent. Pouvons-nous nous permettre d'attendre ?