Les agriculteurs supportent le poids de la déclaration de Kampala - mais ont-ils les moyens de le faire ?
16 janvier 2025 par Francine Picard, Directrice des partenariats et co-fondatrice du Centre Shamba
L'adoption de la déclaration de Kampala par les chefs d'État et de gouvernement africains marque un moment important dans le cheminement du continent vers des systèmes agroalimentaires résilients, inclusifs et durables. Encadrée par l'Agenda 2063 de l'Union africaine, cette déclaration réunit des ambitions de prospérité, d'équité et d'équilibre écologique. Le Programme détaillé pour le développement de l'agriculture africaine (PDDAA) est essentiel à la réalisation de ces objectifs, car il offre une feuille de route claire pour l'action. Pourtant, si les objectifs sont clairs, le poids de la mise en œuvre repose de manière disproportionnée sur les épaules de héros désarmés : les petits exploitants agricoles.
L'agriculture est l'épine dorsale de l'économie de l'Afrique subsaharienne, employant plus de la moitié de sa population. Près de 80 % des agriculteurs cultivent moins de deux hectares de terre et restent prisonniers de cycles de vulnérabilité et de négligence. Pourtant, ces agriculteurs se voient confier l'énorme responsabilité de lutter contre l'insécurité alimentaire, de s'adapter au changement climatique et de favoriser la résilience économique. On attend d'eux qu'ils opèrent une transformation, alors qu'ils ne disposent pas des ressources nécessaires pour maintenir leurs moyens de subsistance. Ce déséquilibre soulève une question essentielle : En demandons-nous trop à ceux qui ont si peu et qui donnent déjà beaucoup ?
Le poids des attentes
Les petits exploitants agricoles sont considérés comme l'épine dorsale des systèmes agroalimentaires africains. Cependant, cette colonne vertébrale est mise à rude épreuve. L'accès aux ressources essentielles telles que les semences de qualité, les engrais abordables et les systèmes de gestion de l'eau reste un défi persistant. De nombreux agriculteurs n'ont pas accès au financement qui leur permettrait d'investir dans leur exploitation ou d'adopter des pratiques durables.
La volatilité des conditions du marché exacerbe ces inégalités systémiques. Les agriculteurs se retrouvent souvent à la merci de prix imprévisibles et de chaînes d'approvisionnement abusives qui leur laissent peu de marge de manœuvre pour négocier. Parallèlement, le changement climatique aggrave leur situation, avec des précipitations irrégulières, des températures en hausse et des phénomènes météorologiques extrêmes qui menacent leurs récoltes et leurs moyens de subsistance. Ces pressions cumulées compromettent non seulement le potentiel de progrès, mais aggravent également les inégalités existantes.
La déclaration de Kampala prévoit une transformation systémique, appelant à l'intégration des agriculteurs dans les chaînes de valeur, à la promotion de pratiques résistantes au climat et à la mise en œuvre de politiques inclusives. Toutefois, ces solutions risquent de devenir un fardeau de plus si elles ne sont pas accompagnées d'un soutien significatif. Demander aux agriculteurs de passer à des cultures plus saines et plus durables ou d'adopter de nouvelles technologies sans leur fournir les ressources adéquates revient à les envoyer se battre sans armes.
L'autonomisation passe par l'action
La véritable promesse de la déclaration de Kampala réside dans la reconnaissance du rôle central des agriculteurs dans la transformation. Mais la rhétorique seule ne suffira pas. L'autonomisation exige des actions délibérées qui s'attaquent aux obstacles structurels auxquels les agriculteurs sont confrontés. Les gouvernements et les parties prenantes doivent donner la priorité à l'élargissement de l'accès à la terre, à des crédits abordables et à des intrants intelligents sur le plan climatique. L'expérience de pays tels que le Rwandaoù les services de vulgarisation agricole ont considérablement amélioré la productivité, démontrent l'importance d'investissements ciblés.
Le renforcement des capacités est tout aussi crucial. Les agriculteurs ont besoin d'être formés à des pratiques durables telles que la diversification des cultures, le labourage de conservation et la gestion efficace de l'eau. Les outils numériques, qui peuvent fournir des informations en temps réel sur les marchés et des prévisions météorologiques, offrent de nouvelles possibilités de combler les lacunes en matière de connaissances. Des initiatives comme la plateforme M-Farm du Kenya au Kenya, ont montré comment la technologie peut renforcer l'autonomie des petits exploitants en les connectant directement aux acheteurs et aux informations sur les prix.
L'accès au marché reste une question cruciale. La zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA) offre la possibilité de réduire les barrières commerciales et de créer une valeur ajoutée régionale. créer des chaînes de valeur chaînes de valeur régionales. Toutefois, pour réaliser ce potentiel, il faut investir dans les infrastructures, des routes rurales aux installations de stockage, et promouvoir la collaboration entre les agriculteurs et les entreprises agroalimentaires.
Mutualiser les risques
Les risques liés à la transformation agroalimentaire ne devraient pas peser de manière disproportionnée sur les agriculteurs. Dans l'état actuel des choses, on attend d'eux qu'ils assument les incertitudes liées à la transition vers des pratiques durables, à l'adoption de technologies qui n'ont pas encore fait leurs preuves et à l'aggravation des effets du changement climatique, le tout avec des filets de sécurité minimaux. Ce déséquilibre doit être corrigé par des mécanismes innovants de partage des risques.
L'une des voies prometteuses consiste à réduire les risques liés aux investissements agricoles. En offrant des garanties et des régimes d'assurance, les gouvernements et les institutions financières peuvent encourager l'engagement du secteur privé dans l'agriculture. Les politiques de marchés publics, qui créent des marchés garantis pour les produits locaux, peuvent également apporter une stabilité indispensable.
La réorientation des subventions vers des pratiques durables offre une autre voie à suivre. Les subventions subventions agricoles actuelles renforcent souvent les pratiques néfastes pour l'environnement. Ces fonds pourraient être utilisés pour promouvoir l'agriculture biologique, l'agroforesterie et d'autres approches régénératrices qui apportent des avantages à long terme aux agriculteurs et aux écosystèmes.
Le rôle de l'investissement et de l'innovation
La transformation des systèmes agroalimentaires africains nécessitera un niveau d'investissement sans précédent. La déclaration de Kampala souligne la nécessité d'un financement innovant, y compris des modèles de financement mixtes qui combinent les investissements publics et privés pour réduire les risques des projets. Selon Convergence, l'agriculture représente 25 % des opérations de financement mixte en Afriquece qui démontre son potentiel en tant que moteur de changement.
Le financement de la lutte contre le changement climatique est un pilier essentiel pour relever les défis agricoles de l'Afrique. Étant donné que l'agriculture est au premier plan des vulnérabilités climatiques du continent, les investissements dans les mesures de renforcement de la résilience, telles que l'assurance des récoltes, les systèmes de gestion de l'eau et l'agroforesterie, sont essentiels. Ces interventions permettent non seulement de protéger les agriculteurs contre les chocs climatiques, mais aussi d'accroître leur productivité, d'améliorer la durabilité et de soutenir la sécurité alimentaire à long terme.
Les partenariats public-privé peuvent également accélérer les progrès en apportant des ressources et de l'expertise directement aux agriculteurs. Les projets de collaboration qui améliorent la logistique, développent les infrastructures de stockage et facilitent l'accès aux technologies de pointe peuvent ouvrir de nouvelles perspectives aux petits exploitants.
Promouvoir les agriculteurs dans la transformation agroalimentaire de l'Afrique
La réalisation des ambitions de la déclaration de Kampala nécessite une action collective. Les agriculteurs doivent être engagés en tant que partenaires égaux dans l'élaboration des politiques qui affectent leur vie. Des organisations telles que l'Organisation panafricaine des agriculteurs(PAFO) jouent un rôle essentiel en faisant entendre leur voix et en plaidant en faveur de solutions équitables.
Oui, le succès de la déclaration de Kampala repose sur une vérité fondamentale : les agriculteurs ne sont pas de simples participants à la transformation des systèmes agroalimentaires africains, ils en sont le cœur. En leur fournissant les outils, les ressources et les opportunités dont ils ont besoin, nous pouvons libérer leur potentiel pour favoriser la sécurité alimentaire, la croissance économique et la durabilité sur l'ensemble du continent. La promesse de transformation de la Déclaration de Kampala est à portée de main, mais elle ne sera réalisée que si nous investissons dans la résilience, l'inclusion et l'autonomisation de ceux qui nous font vivre.
Les agriculteurs sont peut-être des héros, mais il ne faut jamais attendre d'eux qu'ils portent seuls le poids du monde.