Pouvons-nous perturber les systèmes alimentaires mondiaux et mettre fin à la faim en réformant le droit et la politique de la concurrence ?

Par Myriam Hammadi, avril 2023.

Au Centre Shamba, nous en sommes convaincus.

Les conséquences de la concentration du marché sur les MPME et l'accès à l'alimentation

Selon Carin Smaller, directrice exécutive du Centre Shamba, "laconcentration du marché et la consolidation d'un pouvoir déloyal empêchent les petits producteurs et les petites et moyennes entreprises d'entrer sur le marché, d'y accéder et d'en tirer profit".  

Depuis plus de 20 ans, la concentration augmente de façon spectaculaire sur les marchés agricoles et alimentaires, et les pays à faible revenu sont plus touchés que les marchés développés, parce que les marchés sont plus petits et les barrières plus élevées.

Cette situation a un impact négatif sur les petits producteurs ainsi que sur les consommateurs. "Lepouvoir de marché rend les petits participants vulnérables, notamment parce que les revenus qu'ils perçoivent sont tirés vers le bas. Les consommateurs sont également victimes, car les prix augmentent pour eux.Il enrésulte une augmentation de la pauvreté et une diminution de l'accès à la nourriture", note le professeur Simon Roberts, de l'université de Johannesburg et fondateur du Centre for Competition, Regulation and Economic Development(CCRED).

Le problème de la concentration existe depuis des décennies, mais on assiste aujourd'hui à un retour de bâton, principalement aux États-Unis et en Europe, contre les plateformes numériques telles qu'Amazon, Facebook et Google. Des réformes sont en cours avec, par exemple, l'adoption de nouvelles réglementations telles que la loi sur les marchés numériques en Europe. Cette tendance s'étend maintenant à l'agriculture, avec l'approbation par le gouvernement américain de 89 millions de dollars pour "créer un marché plus compétitif pour les semences et autres intrants agricoles".

Cependant, nous n'observons pas une vague de réformes similaire dans les pays à revenu faible ou intermédiaire.

Nous pensons qu'il est possible, dès à présent, de tirer parti de la dynamique des réformes et de mettre en lumière ce qui se passe dans les pays à revenu moyen inférieur. Nous devons comprendre où cette consolidation a lieu, qui en est le plus affecté et comment nous pouvons soutenir les réformes en cours ainsi que les régulateurs qui tentent d'appliquer leurs cadres existants.

Une nouvelle étude dresse un état des lieux et propose une approche adaptée et flexible

Notre nouvelle étude, présentée par le professeur Simon Roberts et Thembalethu Buthelezi de la Commission de la concurrence d'Afrique du Sud, trace des pistes pour réformer le droit et la politique de la concurrence dans les pays africains afin de réguler le pouvoir de marché déloyal dans le système alimentaire et de donner plus de pouvoir aux petits exploitants et aux producteurs.  

L'Afrique subsaharienne comprend une grande variété de régimes de concurrence, avec des défis allant d'une absence totale de législation à un manque d'informations pour évaluer les effets des fusions. Dans ce contexte, des solutions sur mesure et des régimes de concurrence flexibles pouvant être adaptés aux situations locales permettront de relever des défis spécifiques et de mettre en œuvre les bonnes solutions.

Selon Thembalethu Buthelezi, "les systèmes alimentaires sont freinés par des comportements anticoncurrentiels. Nous pouvons faire la différence avec des solutions réglementaires et institutionnelles adaptées pour permettre des régimes de concurrence flexibles qui peuvent prendre en compte l'impact sur les PME, l'utilisation accrue d'une action régionale de mise en œuvre et l'utilisation d'un outil d'observation du marché pour permettre une recherche transnationale basée sur des preuves".

Une discussion permet d'identifier les défis et de proposer des pistes de rupture.

Lors de notre récent webinaire, le professeur Eleanor M. Fox de la New York University School of Law, le docteur Mor Bakhoum de l'Université numérique Cheikh Hamidou KANE et de l'Institut Max Planck pour l'innovation et la concurrence, ainsi que M. Chilufya Sampa, ancien directeur exécutif de la Commission zambienne de la concurrence et de la protection des consommateurs, ont fait part de leur point de vue sur l'étude et les prochaines étapes.

Une série de défis ont été mis en évidence, notamment les hypothèses actuelles sur les économies de marché et les difficultés en termes de ressources financières et humaines. Le docteur Mor Bakhoum a déclaré : "Nous devons nous pencher sur l'asymétrie du pouvoir entre l'acheteur et le vendeur dans le secteur agro-industriel. Enplus de l'abus de position dominante, le concept d'abus de dépendance économique devrait être exploré par les autorités chargées de l'application de la législation".

Toutefois, le panel a proposé une série de solutions. Selon le professeur Eleanor M. Fox, "nous devons développer des données montrant qu'un marché de PME prospères est un ingrédient nécessaire au bon fonctionnement des marchés alimentaires et que le maintien d'une voie claire pour les petits producteurs contribuera à lutter contre la pénurie alimentaire, à faire baisser les prix des denrées alimentaires et à atténuer la pauvreté". 

Ce travail nécessitera une perspective holistique et une collaboration étroite avec les autorités locales et régionales. "Nous devons travailler avec les autorités pour surveiller, collecter des données et mener des recherches afin d'améliorer leur capacité à faire respecter le droit et la politique de la concurrence", note le professeur Simon Roberts. Le plaidoyer et les données sont indispensables pour convaincre les gouvernements que la concurrence est bénéfique pour le marché.

Chilufya Sampa partage cet avis. "Lesautorités de la concurrence en Afrique doivent adopter une approche globale et prendre en compte des questions telles que la pauvreté, les prix des denrées alimentaires et le changement climatique. Nous devons les aider à démontrer les conséquences négatives des comportements anticoncurrentiels."

 

Pour en savoir plus, regardez l'enregistrement du webinaire ici.