Comment la politique de concurrence continentale renforce le marché africain

29 avril 2024

Cet article de Chilufya Sampa a été initialement publié dans Arguments africains

Les économies nationales règnent peut-être en maître, mais le commerce transfrontalier reste dynamique dans toute l'Afrique. Les marchés sont interconnectés. Une sécheresse dans un pays aura un impact sur le prix du maïs dans un pays voisin. Les entreprises comprennent cette dynamique et opèrent souvent sur une base régionale. Prenons un exemple : les négociants achètent du soja au Malawi et en Zambie pour le vendre ensuite au Kenya.

Lorsque les marchés fonctionnent bien, tout le monde en profite. Les barrières à l'entrée sont abaissées, ce qui profite aux micro et petites entreprises, tandis que les consommateurs peuvent accéder à une variété de biens à des prix plus bas. Mais lorsque les grands fournisseurs verticalement intégrés opèrent au-delà des frontières et abusent de leur position dominante sur le marché, ils réalisent des marges excessives. En ce qui concerne le soja, l'Observatoire des marchés africains a montré que les négociants ont obtenu une marge allant jusqu'à 91 % en supprimant les prix pratiqués par les agriculteurs au Malawi et en Zambie et en augmentant les prix pour les acheteurs au Kenya.

C'est là que les autorités de la concurrence devraient normalement intervenir pour faire respecter les règles du marché. Or, un rapport récent du Shamba Centre for Food & Climate révèle que près de la moitié des pays d'Afrique subsaharienne ne disposent pas de lois et d'institutions en matière de concurrence. Cette situation a des conséquences désastreuses. Les marchés deviennent des pions entre les mains de quelques entreprises, qui dictent leur fonctionnement, ce qui va à l'encontre des principes d'ouverture des marchés et de concurrence. Dans de nombreux cas, ces entreprises déterminent les prix - que ce soit à l'achat ou à la vente - à leur avantage.

Dans le secteur de l'agriculture, elle conduit à la pauvreté et à l'insécurité alimentaire. Les petits producteurs de denrées alimentaires sont étranglés ; ils doivent faire face à des prix plus élevés pour leurs approvisionnements et à des prix plus bas pour leurs marchandises et quittent souvent ces marchés. Les données confirment cette triste réalité. Dans les villes africaines, les prix des denrées alimentaires sont en moyenne plus de 30 % plus élevés que dans les pays à revenu faible ou intermédiaire d'autres régions du monde.

Mais il n'y a pas que des mauvaises nouvelles.

En Afrique subsaharienne, un paysage concurrentiel dynamique est en train d'émerger. Neuf pays ont mis en place des régimes de concurrence solides, qui ont l'habitude d'appliquer la jurisprudence, tandis que 17 autres pays disposent d'autorités de la concurrence naissantes. Ces autorités nationales se tournent de plus en plus vers les organisations régionales de la concurrence pour renforcer leurs capacités. L'amélioration de la coopération entre les organisations de concurrence en matière de défense des intérêts et d'enquêtes conduit à une meilleure application de la législation.

Tirer parti des institutions régionales africaines et de leur application est une première étape vers la construction d'un marché concurrentiel fort à l'échelle du continent. Une meilleure coordination et coopération entre les autorités régionales de la concurrence et les autorités nationales est nécessaire pour aider à réglementer les comportements anticoncurrentiels transfrontaliers et renforcer les capacités des autorités nationales. Cela est particulièrement important pour les pays qui n'ont pas encore de législation ou d'institutions en matière de concurrence.

Une situation gagnant-gagnant

Les communautés économiques régionales, telles que le Marché commun de l'Afrique orientale et australe (COMESA) et l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), jouent un rôle essentiel dans la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles au niveau régional.

Par exemple, la Commission de la concurrence du COMESA a démontré qu'elle pouvait réglementer la concurrence transfrontalière et soutenir les autorités nationales dans leur travail. Elle reconnaît que l'application des règles de concurrence au niveau régional ne peut être efficace si les autorités nationales sont faibles. C'est pourquoi elle contribue à l'élaboration de lois nationales sur la concurrence, de plans stratégiques et de capacités internes. Elle parraine des formations et peut, sur demande, examiner les comportements en matière de concurrence et les fusions.

Pourtant, le COMESA compte sur les autorités nationales de la concurrence pour fournir des données et des connaissances afin d'aider les autres régulateurs nationaux. Par l'intermédiaire du COMESA, par exemple, le régulateur zambien a apporté son soutien aux autorités nationales de l'Éthiopie, du Malawi, des Seychelles et de l'Eswatini. Les autorités nationales sont les piliers de l'application des règles de concurrence au niveau régional.

Examen des fusions transfrontalières

Le COMESA a joué un rôle actif dans la régulation de la concurrence transfrontalière en examinant les fusions ayant des implications régionales. Au cours des dix dernières années, 369 fusions et acquisitions ont été évaluées. Il est à noter que dans le secteur de l'alimentation et de l'agriculture, ces examens n'ont bloqué aucune fusion. Des fusions importantes, telles que celles entre Bayer/Monsanto et ETG/SABIC Agri-Nutrient, ont été autorisées.

S'agit-il d'un échec du COMESA en matière de régulation du marché ? Il est fort probable que non. Ces fusions illustrent plutôt la manière dont les autorités régionales dépendent des régulateurs nationaux pour obtenir des données. Dans ces cas, les informations reçues n'étaient peut-être pas suffisantes, ce qui a conduit à une analyse erronée. La force du COMESA se reflète dans les capacités des autorités nationales.

Les régulateurs de la concurrence aux niveaux national, régional et continental fournissent les éléments constitutifs d'une économie africaine prospère et compétitive. Une politique de concurrence efficace et son application sont des conditions préalables à des économies ouvertes, à des conditions commerciales équitables et à des règles du jeu équitables. Dans le secteur agroalimentaire, la concurrence est essentielle. Nos moyens de subsistance, notre bien-être et notre sécurité alimentaire en dépendent.