Pourquoi l'utilisation du rendement comme indicateur de productivité est contre-productive
30 septembre 2024, Işık Ozturk, scientifique principal en matière de climat et d'agriculture.
Les politiques agricoles modernes se concentrent sur l'augmentation des rendements afin de renforcer la sécurité alimentaire. Cet accent sur les rendements découle de la révolution verte qui, par le passé, a permis d'augmenter considérablement la production alimentaire grâce à l'utilisation de semences hybrides, d'engrais chimiques, de pesticides et de l'irrigation. Bien qu'elle permette de lutter contre la faim à court terme, cette priorité accordée à la maximisation de la production néglige des aspects essentiels de la durabilité et de l'utilisation efficace des ressources.
Le problème de la hiérarchisation des rendements
L'agriculture moderne contribue de manière significative à la dégradation de l'environnement, au changement climatique et à l'épuisement des ressources essentielles. Ces défis révèlent non seulement les limites du rendement en tant que mesure principale de la réussite, mais masquent également une utilisation inefficace des ressources et des dommages à long terme aux (éco)systèmes agricoles. Le fait de dépendre fortement des intrants pour augmenter les rendements crée des dépendances qui nuisent à la rentabilité des exploitations et à la santé de l'environnement.
En privilégiant le rendement, nous risquons d'ignorer les pratiques agricoles plus durables qui visent à maximiser la production avec moins de ressources. Cet aspect est de plus en plus important à mesure que les effets du changement climatique s'accentuent chaque jour. Dans de nombreux cas, une exploitation au rendement plus faible peut en fait être plus durable et plus rentable si elle utilise efficacement les ressources, réduit les déchets et minimise les atteintes à l'environnement (LaCanne & Lundgren, 2018). Il est donc clair que l'évaluation de la performance des exploitations agricoles uniquement sur la base du rendement est à la fois à courte vue et incomplète, car elle ne permet pas d'appréhender le tableau plus large de la viabilité agricole à long terme.
L'accent mis sur le rendement entraîne les problèmes suivants :
La surexploitation des ressources : Les rendements élevés nécessitent généralement de grandes quantités d'intrants, ce qui augmente les coûts et réduit la durabilité.
Problèmes de rentabilité : L'augmentation de la production ne garantit pas des bénéfices plus élevés, surtout si l'utilisation des intrants est inefficace.
Atteinte à l'environnement : La dépendance excessive à l'égard des engrais chimiques, des pesticides et de l'irrigation constante entraîne des dommages à long terme tels que la dégradation des sols et la perte de biodiversité.
Focalisation sur le court terme : les stratégies axées sur le rendement privilégient souvent les gains immédiats au détriment de la durabilité à long terme, ce qui met les ressources naturelles en péril.
Passage à l'efficacité technique
Au lieu de se contenter de viser des rendements plus élevés, il est préférable de mesurer l'efficacité technique (des exploitations), c'est-à-dire la capacité à maximiser la production avec un minimum d'intrants. Les exploitations ayant une efficacité technique élevée produisent davantage tout en utilisant moins de ressources, ce qui permet de réduire les coûts et l'impact sur l'environnement. Cette approche met l'accent sur l'optimisation des intrants (utilisation de la bonne quantité de ressources), sur l'utilisation des technologies disponibles et sur l'analyse comparative afin d'identifier les domaines à améliorer. Par rapport aux données de rendement, la mesure de l'efficacité technique nécessite des informations plus détaillées sur l'utilisation des ressources. Toutefois, les progrès des outils numériques, de la surveillance par satellite et des capteurs simplifient le suivi des données d'entrée et de sortie, ce qui permet aux agriculteurs d'obtenir des informations en temps réel. Ces innovations ouvrent la voie à une meilleure gestion des ressources et à une productivité accrue.
Bien que le rendement reste une mesure pratique, il est trompeur et fournit des informations incomplètes. Il dépend d'innombrables facteurs locaux - biophysiques, environnementaux et physiologiques - qui sont largement ignorés dans les discussions politiques. L'hypothèse selon laquelle les faibles rendements doivent être portés à un niveau arbitraire est erronée. Le cadre de l'"écart de rendement", enraciné dans la révolution verte, est nuisible et non durable lorsqu'il est appliqué universellement sans tenir compte des conditions locales. L'intégration de la mesure de l'efficacité technique dans l'élaboration de la politique agricole peut aider les agriculteurs à maximiser leur production sans compromettre la durabilité à long terme. Cette méthode permet d'équilibrer la productivité et la conservation des ressources, offrant ainsi une voie plus durable vers la sécurité alimentaire.
Référence
LaCanne, C. E., & Lundgren, J. G. (2018). Regenerative agriculture : Fusionner l'agriculture et la conservation des ressources naturelles de manière rentable. PeerJ, 6, e4428. https://doi.org/10.7717/peerj.4428